L’homme économique et le sens de la vie

Date de publication : Dec 15, 2011 11:38:52 AM

Petit traité d’alter-économie

de Christian Arnsperger - (éd Textuel- www.editionstextuel.com)

(…) une critique anthropologique et existentielle du capitalisme.

Critique anthropologique : nos objections au capitalisme vont devoir s’ancrer de plus en plus dans une réflexion sur l’humain, sur la condition humaine, sur ce qui nous permet d’être humains les uns envers les autres ou nous en empêche. Critique existentielle : nos révoltes envers le capitalisme auront à s’enraciner de plus en plus dans notre quête d’un sens de l’existence, d’un rapport heureux à nous-mêmes et entre nous. On peut paraphraser le mot « anthropologique » par ayant un rapport avec la question de l’humain et par ayant un rapport avec le sens de la vie. (…)

(…) Coupé de son environnement naturel et de sa socialité, l’être humain devient un « être capitaliste » dan son organisme, dans ses réflexions intimes, dans sa vision de lui-même, dans sa culture. Nous, êtres capitaliste, avons fini par nous résigner à une version étriquée des grandes visées de liberté de l’homme. Nous avons troqué la peur de la misère d’antan contre un système qui inscrit la croissance matérielle et financière dans sa logique même et fait de nous des rouages de cette croissance obligatoire. (…)

(…)Se dessine (…) cette étrange tension entre les niveaux individuel et social : si le rapport de l’individu à sa richesse et à celle des autres est en général trouble et aisément porteur de pathologie, la gestion collective de la richesse est, quant à elle, vue comme essentiellement porteuse de la santé, voire du « salut », du corps social. (…)

(…) La psychologie du manque et la métaphysique de la croissance, enracinées dans la hantise atavique de l’abjection et de l’animalité, sont devenues au fil du temps des composantes essentielles de notre « inconscient historique ».

(…) Tout l’enjeu d’une nouvelle conception de la richesse est de comprendre comment nous pouvons mettre en place de façon lucide et délibérée, des principes de vie différents qui puissent transformer l’angoisse du manque en facteur de solidarité et de lâcher-prise.(…)

Pour faire émerger une autre économie, il faudra donc lutter conjointement contre les facteurs existentiels personnels qui engendrent le consumérisme et contre les rapports de force structurels qui lient la création monétaire à l’expansion du crédit bancaire. (…)

(…) Il nous faut donc impérativement, aujourd’hui, une citoyenneté existentielle , çàd des citoyens qui comprennent que l’économie n’est pas qu’une question de chiffres ou de besoins matériels, mais de rapport à l’existence , une question de sens de la vie(…)

(…) L’expérimentation existentielle concerne ce qu’on appelle en psychologie la subjectivation : l’être libre qui vit son existence comme une expérimentation vitale s’engage dans un « devenir-sujet ». C’est un itinéraire personnel, mais qu’il est impossible d’emprunter sans son entourage, sans voisinage, sans famille, sans compagnie. La subjectivation est intersubjective et, à ce titre, elle nécessite une insertion collective. Vivre une libre expérimentation existentielle, c’est avoir besoin d’une collectivité d’expérimentation.

(…) Le nouveau citoyen entrepreneur doit devenir conscient de ce que les principes de vie régnants ne lui permettent pas d’atteindre l’intégration existentielle, de porter et de transformer ses angoisses dans un réel projet d’humanisation. Comment ce citoyen pourra-t-il aller au-delà vers ces nouveaux principes de vie ? Questionner réellement le mode d’existence capitaliste ne peut se faire que si l’on est suffisamment libre d’adopter un autre, de faire l’expérience vécue d’uen autre existence. La liberté réelle du citoyen de réfléchir d’une façon critique sur le système dans lequel il vit doit déboucher sur la liberté réelle d’organiser sa vie économique et sociale comme il l’entend- avec d’autres, bien entendu, donc en collectivité.

(…) Egaliser les chances, cela devrait consister surtout à rendre réellement possible l’avènement d’autres logiques socioéconomiques, à travers des communautés d’expérimentations garantes de la subjectivation des personnes. C’est une chose que l’actuelle social-démocratie néolibéralisée, qui lie les droits sociaux à la participation (fût-elle indirecte ou même virtuelle) aux mécanismes capitalistes, ne permet pas.(…)

(…) la transition vers les principes de vie « libérés » renvoie à une certaine frugalité. Sur fond d’une contraction économique non choisie- car imposée par la détérioration de la biosphère- notre génération et les suivantes devront inévitablement créer et mettre en œuvre des modes de vie plus frugaux. Notre grande tâche culturelle dans les décennies à venir sera de consentir librement aux contraintes mais aussi aux nouvelles possibilités d’une certaine frugalité et de rechercher des modes d’existence économique où notre liberté pourra s’exprimer hors des cages de fer aliénantes de l’opulence capitaliste.C’est notamment ce but qu’affirmer le principe de simplicité volontaire 5…°

(…) la racine latine du mot frugalité signifie un « usage plein et fructueux des ressources »(…)

(…) le capitalisme nous fait prendre nos envies passagères pour des besoins urgents et impératifs. Défaire cette confusion, orienter notre énergie de vie vers un Désir qui ne se confonde plus avec l’envie déguisée en besoin : voilà la tâche clé de l’intégration existentielle. Il s’agit essentiellement d’une modification du ressort du désir humain.

-2011-

Christian Arnsperger est maître de recherche au Fonds national belge de la Recherche scientifique (FRS-FRNS) et professeur à l’université de Louvain où ilest rattaché à la Chaire Hoover d’éthique économique et sociale et au CriDis.

Pour aller plus loin

http://www.uclouvain.be/11510.html

http://www.uclouvain.be/chaire-hoover.html

http://www.uclouvain.be/cridis.html

http://www.videobaz.be/2010/03/sur-la-decroissance-une-conference-de-christian-arnsperger/

bibliographie complète

http://www.uclouvain.be/8588.html